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Le CETA vient mettre des secteurs en concurrence qui n’en ont pas besoin », selon Marie Arena

Pour la députée européenne, le traité de libre-échange conclu entre l’UE et le Canada crée de la divergence européenne plutôt que de la convergence. S’il ne déstabilisera pas l’Europe, les économies dominantes seront renforcées et certains secteurs seront favorisés au détriment de ceux en souffrance.

L’Accord économique et commercial global (AECG) ou Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) a été adopté par le Parlement européen le 15 février 2017, après 8 années d’âpres négociations. Effets du traité sur l’emploi et la concurrence, conséquences sur notre économie, mécanisme d’arbitrage État-entreprise… Tout autant de sujets faisant encore aujourd’hui l’objet de vifs débats et sur lesquels Marie Arena*, députée européenne (PSE, Belgique), a accepté de s’exprimer.

*Marie Arena a voté contre l’adoption du traité le 15 février dernier.

Les opposants au CETA affirment qu’il aura des effets négatifs sur l’emploi. Qu’en pensez-vous?

Aucune étude scientifique ne garantit que le CETA favorise la création d’emplois. En revanche, qu’il y ait des secteurs gagnants et des secteurs perdants, c’est plus probable.

Quels sont les secteurs gagnants ou perdants ?

Les entreprises européennes du secteur pharmaceutique vont bénéficier d’une plus grande protection de leurs médicaments en matière de propriété intellectuelle sur le marché canadien. Elles seront mieux rémunérées, mais elles ne créeront pas forcément plus d’emplois. En contrepartie, les canadiens paieront plus cher leurs médicaments.

Concernant l’agriculture, certains secteurs comme celui du vin ou du fromage, seront gagnants à court terme. 145 appellations géographiques européennes seront protégées par le CETA, sur les 1500 (environ) reconnues actuellement en Europe. Celles-ci auront plus de possibilités sur le territoire canadien, en matière de protection et d’accès aux marchés. En revanche, les autres appellations – les 1 355 restantes – ne pourront plus jamais être reconnues comme telles. Les entreprises allemandes, dans le secteur automobile, seront également gagnantes. Enfin, l’ouverture des marchés publics canadiens pourra intéresser les entreprises européennes du génie civil.

Concernant les perdants, les petits producteurs européens dans le secteur de la viande seront attaqués de plein fouet par l’augmentation des quotas d’exportation exigée par le Canada. Le traité vient mettre des secteurs en concurrence qui n’en ont pas besoin. Il faut favoriser la concurrence s’il existe des monopoles ou si les prix sont trop élevés. Avec ce traité, si les prix baissent, nos agriculteurs meurent. Le CETA crée de la divergence européenne plutôt que de la convergence.

L’accord aura-t-il un impact sur l’économie des pays membres de l’Union ?

Par le biais de ses grandes entreprises et de ses indications géographiques, la France a quelque chose à y gagner. N’ayons pas une approche catastrophique. Le Canada représente un marché de 35 millions d’habitants, et l’Union européenne, c’est un marché de 500 millions d’habitants. L’accord ne va pas déstabiliser l’Europe. Le problème est que les tenants du CETA veulent en faire un modèle et accélérer le processus de libéralisation des échanges pour tous les prochains accords. On aura des effets d’éclatement au niveau européen car le traité va renforcer les économies dominantes européennes au détriment des secteurs les plus en souffrance. Ce genre d’accord ne favorise pas le développement de nos productions et de notre économie européenne.

Les normes sanitaires peuvent-elles être remises en cause avec le CETA ?

Le CETA ne va pas avoir pour effet de modifier les normes sanitaires du jour au lendemain mais à moyen-long terme, on va pouvoir aller dans ce sens. D’une part, le traité met en place des comités réglementaires par lesquels on institutionnalise les lobbies. Ces comités, composés d’industriels canadiens et européens, vont travailler sur l’élaboration de la norme. Or, ces comités régulateurs vont préférer faire prévaloir le principe du risque sur le principe de précaution. Cela conduira à une élaboration de la norme plus proche des intérêts industriels que des intérêts citoyens. Alors oui, à terme, le niveau de protection de la norme pourra baisser.

Ce phénomène sera également favorisé par le coût des tribunaux d’arbitrage. Lorsqu’un pays voudra interdire un produit contraire aux normes sanitaires en se fondant sur le principe de précaution, l’investisseur pourra attaquer l’État – au motif qu’il s’agit d’un obstacle injustifié au commerce, de protectionnisme – pour demander une indemnisation ou faire « sauter » la norme. Et l’État ne voudra pas payer. Ces deux mécanismes permettent un nivellement vers le bas des standards et des normes sanitaires.

Pour les opposants au CETA, le mécanisme d’arbitrage privé prévu par le traité reviendra à faire primer les intérêts privés sur les intérêts publics. Êtes-vous d’accord ?

Oui, exactement. Le dispositif proposé par la Commission , lICS (Investment Court System), permet à un investisseur d’attaquer un État. Par rapport au mécanisme prévu à l’origine (l’ISDS – Investor-State Dispute Settlement), un niveau d’appel a été introduit et les arbitres auront un revenu minimum payé par l’État. Au-dessus de ce revenu minimum, ils seront payés à la cause. C’est comme si le juge était payé par l’une des parties. La Belgique a demandé deux choses à la Commission : modifier ce système pour qu’il soit calqué sur le fonctionnement des tribunaux publics et que la question de la compatibilité du CETA avec les traités européens soit posée à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Quand le CETA doit-il entrer en vigueur ?

Le vote au Parlement européen ouvre uniquement la voie à l’entrée en vigueur provisoire* de la partie non mixte du traité, c’est-à-dire la partie exclusive de l’Europe. Le chapitre 8 « Investissement » et le mécanisme d’arbitrage (chapitre 29 « Règlement des différends »)n’entreront en application qu’avec l’approbation de tous les parlements des États-membres. Si l’un d’entre eux conteste cette partie ou la totalité de l’accord, le traité – dans son intégralité – pourra être remis en question. Si la France ou l’Allemagne vote contre, cela aura beaucoup plus de répercussions que s’il s’agit de la Belgique, de l’Autriche ou des Pays-Bas.

La mise en œuvre du traité pourra également être stoppée à l’initiative d’un État par saisie du Conseil. Mais la suspension de l’accord par le Conseil serait compliquée. Politiquement parlant, ce serait dévastateur. Ce serait un message extrêmement négatif vis-à-vis du Canada. Il aurait été préférable d’arrêter le traité avant ou de bloquer, pour l’avenir, la partie relevant de la compétence des États.

* La mise en en œuvre provisoire du traité est prévue « le 1er avril 2017 au plus tôt », d’après un communiqué du Parlement européen.

La seule façon de mettre un terme à l’application du CETA serait d’obtenir le vote négatif d’un Parlement régional ou national ?

Oui, au vu de la forte opposition (presque 300 voix contre et abstentions), cela ne va pas être si facile de faire approuver le traité à l’unanimité. Il y a vraiment eu une contestation, pas vis-à-vis des canadiens, mais vis-à-vis du modèle proposé par le traité. Il sera difficile pour les parlements nationaux d’y faire face.

Retrouvez cette interview de Leslie Brassac sur éditions législatives

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