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«Le populisme n’a jamais fait bon ménage avec le droit des femmes»

La politique ne peut servir les femmes que si elles y sont représentées, rappelle Marie Arena, qui appelle les Européens à faire confiance aux candidates lors du scrutin de mai. Et à se méfier des populistes qui minent les avancées en matière de droit des femmes.

Marie Arena est une eurodéputée du Parti socialiste belge (S&D), faisant notamment partie de la commission des droits des femmes et de l’égalité des genres. Elle a occupé plusieurs postes gouvernementaux en Belgique, notamment celui de ministre fédérale de l’Intégration sociale, des Pensions et des Grandes villes.

Nous sommes à nouveau le 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Les lignes ont-elles bougé depuis un an ?

Je pense que la question de l’égalité entre les hommes et les femmes ne change pas facilement. Il s’agit d’une question de représentation, mais aussi de mentalité, Et malgré le fléau des violences faites aux femmes en Europe, il y a  encore des juges dans les Etats membres qui atténuent la peine en cas de féminicide. Je pense par exemple à l’auteur d’un meurtre condamné à 30 ans de prison en Italie et gracié de 15 ans grâce à l’argument de la jalousie et de l’« amour » qu’il portait à sa femme.
Les mentalités sont encore extrêmement basées sur un modèle patriarcal où la femme reste l’élément dominé. Il y a  des avancées législatives à réaliser, mais il faut aussi faire avancer les mentalités, ce qui prend beaucoup de temps.

Quelles seraient selon vous les grandes priorités, les mesures qu’il faut absolument mettre en place ?

Malgré le suffrage universel, les femmes sont toujours sous représentées dans les lieux de décision. On a tendance à s’enorgueillir d’un Parlement européen qui a un taux de représentation des femmes de 37 %, donc plus haut que la moyenne des États membres, mais ce n’est que 37 %. Nous ne sommes pas encore dans des démocraties paritaires.
On a dû recaler la première Commission proposée par Juncker parce qu’elle n’avait pas 30 % de femmes. On est arrivé à un petit 30 %, mais cela a été difficile. Il faut faire en sorte que dans le système politique les femmes ne soient plus considérées comme une minorité dans un système dominant masculin, mais comme étant l’égal des hommes dans une démocratie paritaire.
Les femmes ont des filières et des expériences différentes, qui permettent d’inclure des réflexions différentes par rapport aux politiques que l’on mène.

Par exemple ?

Les programmes d’austérité ont en général été menés par des membres des commissions et des conseils économie ou finance, qui sont la plupart du temps des hommes. Dans ce secteur, ce n’est même plus du 30 ou 37 % de femmes, mais du 10 %, voire plus. Donc, ces politiques d’austérité ont frappé beaucoup plus durement les femmes que les hommes et ont plongé des femmes de certains pays dans des situations d’extrême pauvreté. S’il y avait eu plus de femmes à la manœuvre pour travailler sur le redressement des politiques budgétaires européennes, nous aurions pu représenter des parcours et des protections différentes pour les femmes.

Qu’est-ce que vous attendez des élections européennes en ce sens ?

On est des femmes, on fait la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes, et puis on se rend compte que même quand on a des listes paritaires, finalement, même les femmes ne votent pas pour des femmes. Lors des élections, faites confiance aux femmes parce que comme on est sous représentées dans le milieu politique, on a un déficit de crédibilité aussi. Donc tant les hommes que les femmes ont du mal à faire confiance à une femme en politique.

J’ai envie de leur dire : n’ayez pas peur. Il y a autant de femmes compétentes en politique, et je dirais même plus car en général les femmes qui arrivent en politique ont dû passer un screening beaucoup plus dur que les hommes. Donc je me dirais même elles sont plus compétentes que les hommes, pas par nature, mais par le filtre qu’on a du passer pour y arriver. Maintenant il faut que vous vous fassiez confiance. Homme ou femme vous devez nous faire confiance.

Surtout étant donné la montée des populismes et des nationalismes…

Le populisme n’a jamais fait bon ménage avec le droit des femmes. Les populistes que l’on voit s’exprimer dans les partis d’extrême droite aujourd’hui reviennent sur des modèles traditionnels de patriarcat et auront donc pour objet de limiter l’évolution et les acquis en matière de droits des femmes.

Si on ne bloque pas la marche arrière concernant le droit des femmes, on sera vraiment en difficulté. Regardez ce qui s’est passé en Espagne avec Vox. Les premières mesures qu’ils ont mis sur la table ont été la remise en cause du droit à l’avortement et les violences faites aux femmes, en défendant qu’il s’agit du domaine privé, et non public.

Tous ces mouvements populistes ramènent les femmes à des fonctions traditionnelles  – la famille, les enfants – et donc rétrécissent leur participation à la sphère publique. Tous. Il n’y en a pas un qui n’a pas cette vocation-là.

Dans les pays où les populistes sont déjà au pouvoir, c’est l’Europe qui protège les femmes. Si on veut protéger les femmes italiennes, c’est par la force des femmes européennes qu’on y arrivera. Idem pour les Polonaises ou les Espagnoles.

Comment garantir des droits tels que l’avortement, qui est en recul en Europe ?

Il faut qu’on ait beaucoup plus recours à la Cour de justice européenne. Les citoyens ont l’impression qu’ils n’ont pas de droit à la Cour de justice européenne, alors que je pense qu’elle fait partie de la solution. Il faut la saisir pour créer des jurisprudences dans le droit européen en matière d’égalité entre les femmes.

L’avortement fait partie du droit à l’accès à la santé, qui est garanti par les traités aussi. Dans certains États membres, les objections de conscience rendent l’avortement impossible. Il faut aller à la Cour de justice européenne en disant « mon droit est bafoué parce que mon État n’a pas mis en place un système me permettant d’avoir accès à mon droit ».

Quelles sont les grandes réussites du mandat qui se termine ?

Je pense que pour moi la plus grande avancée de l’Europe par rapport aux droits des femmes est de pouvoir inscrire la question de l’égalité dans toutes les politiques. Toute politique doit à l’avenir être regardée avec une lunette « femme ». Par exemple, quand je travaille sur des accords commerciaux, je demande que les études d’impact soient genrées. On fait souvent une analyse industrielle, mais au final les industries qui y gagnent sont souvent les industries masculines, et celles qui y perdent féminines. Quand on a des études d’impact genrées, on se rend compte des politiques qu’on doit mener à l’égard de femmes, qui pourraient être sous représentées ou qui pourraient être dans des niches particulières.

Même chose pour l’intelligence artificielle. À ce jour, on n’est pas loin de 100 % d’hommes à des postes de décision dans l’industrie. Or, on va donner les clés de notre avenir à ce secteur, qui se construit sur une perspective uniquement masculine. Il faut changer ça.

Et la plus grande déception ?

Que 60 ans après l’inscription de l’égalité dans les traités, il y ait encore autant de disparités. La plus grande déception a été d’entendre un parlementaire de cette maison dire que nous ne pouvons pas demander l’égalité de salaire parce que, tout simplement, nous sommes moins intelligentes que les hommes. Il y a encore eu un homme qui a eu l’outrecuidance de prononcer ces mots-là dans un parlement.

La directive équilibre vie privée vie professionnelle qui a été récemment adoptée est elle une réussite pour l’égalité homme-femme?

C’est une grande avancée parce qu’on a réparti les rôles entre l’homme et la femme dans la question de la charge familiale, même si ça ne veut pas dire qu’on a tout obtenu.

Mais si on n’établit pas l’équilibre dans les salaires, il est très difficile de garantir l’équilibre à l’intérieur des couples, puisque le travail de l’homme aura plus de valeur. Donc pour moi c’est vraiment une avancée importante, mais il faudra continuer à se battre sur la question salariale quand on est en congé parental. Le champ reste ouvert.

L’obtention de la directive confirme encore une fois que l’Europe permet de mettre un plancher en dessous duquel on ne peut pas descendre. Souvent on me dit par exemple « la directive qui vient d’être votée ne change rien en Belgique ». C’est vrai, mais ça permet d’homogénéiser tous les pays et de faire en sorte que toutes les femmes et tous les hommes puissent prétendre à la même protection. C’est essentiel. C’est notamment important au niveau économique, de s’assurer qu’on ne se fait pas de concurrence déloyale.

Au niveau européen, les femmes en profiteront. Elles ont tout à gagner de l’Europe, parce que quand elles n’arrivent pas à faire leur combat au niveau national pour diverses raisons, elles peuvent obtenir des droits grâce au combat qui est mené au niveau européen, pas les représentants des 28 États membres.

Retrouvez cet article par Manon Flausch dans Euractiv.fr